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Paris-Dakar 1983 : bienvenue en enfer !

Le cinquième Paris-Dakar promet d’être encore plus dur que les précédents : 12.000km de pistes en 20 jours, à travers 8 pays, sans journée de repos, et une étape marathon de 2.250km en prime. Et pour la première fois, la traversée du terrible désert du Ténéré…


Toyota France via le team Fougerouse/Metal 5, décide d’y engager quatre Toyota FJ 40 pickup (essence). Deux sont-là pour jouer le classement général avec Pierre Fougerouse – Noquet et pour JJ Ratet – Jacquemard , et deux véhicules d’assistance rapide pour Imbert – Beaujean (mécano) et pour votre serviteur et mon ami mécano Philippe Vermeersch. C’est pour moi une grande chance 

de pouvoir participer à mon deuxième Dakar dans une équipe très professionnelle et structurée. Bien sûr, je suis conscient du fait que je n’ai aucun rôle à jouer au classement général, puisque nous sommes les anges gardiens de nos deux équipages de pointe. J’ai en outre un sérieux handicap : il me faudra piloter une voiture très lourde, chargée de pièces de rechange et de matériel divers. Ma mission est claire : je dois m’arrêter en cas de soucis sur les autres voitures de l’équipe, et être tous les soirs à l’étape dans les délais les plus courts possibles !

Grâce à l’expérience acquise l’année précédente aux côtés de Vic Elford, je me suis cette fois équipé plus sérieusement, avec un sac de couchage de l’armée américaine, et des vêtements chauds pour le début de course. Mon épouse m’a préparé un sac avec un set d’habits pour chaque jour, emballé hermétiquement pour éviter les infiltrations de sable et de poussière. Cela s’avérera particulièrement utile lors de la traversée du Ténéré, on le verra plus loin ! Je connais également désormais le principe des notes utilisées par Thierry Sabine. J’ai déjà anticipé une partie des difficultés du parcours, via des jeux de cartes IGN. Philippe, mon coéquipier est un garçon charmant et dévoué, mécanicien hors pair, mais il est loin d’être un grand lecteur de notes… Je me méfie donc un peu !

Le team Fougerouse est très soudé et l’ambiance y est excellente. Le départ du Trocadéro à Paris et la descente vers le Sud via la N20 sont absolument incroyables ! La route est envahie par les spectateurs et les passages dans les villes sont salués par une foule immense. Les deux parcours dits « prologues » se passent calmement et sans problèmes, ainsi que la traversée en bateau qui nous amène à Alger.

Pour rejoindre Touggourt (771km, quand même !), nous devons rouler en partie de nuit. La température extérieure frise le zéro degré, et alors que je roule tranquillement, une plaque de verglas nous propulse hors de la route, heureusement sans dégâts ! Si j’avais dû expliquer à mes employeurs que mon Dakar s’était terminé à la sortie d’Alger, à cause du verglas, sans doute ne m’auraient-ils pas cru !

Nous repartons de Touggourt en 87ème position sur 234, ce qui me semble tout-à-fait honorable. Les 4 voitures tournent comme des horloges. Pourvu que cela dure !

D’autres concurrents ont moins de chance : mon ami Michel De Deyne a ensablé sa petite Subaru. Je m’arrête pour lui porter main forte. Nous le tractons vers un sol plus dur, et repartons de plus belle. Après de nombreuses galères, il finira par se disputer avec son coéquipier et devra se résoudre à abandonner. Nous vengerons cette déconvenue ensemble, deux ans plus tard. Mais cela est une autre histoire…

De temps à autre, mon coéquipier se perd dans la lecture du roadbook, et je dois alors le poser sur le volant, tout en continuant à conduire, ce qui n’est pas idéal pour garder une concentration optimale.

Alors que nous roulons vers Dirkou au Niger, je m’énerve un peu car il me semble que nous sommes perdus. Je décide de faire demi-tour dans le sable mou, de manière un peu trop brutale. Le Toyota n’apprécie pas, et se soulève sur deux roues ! Nous restons suspendus ainsi durant une fraction de seconde, sans savoir si nous allons retomber sur les 4 roues ou…sur le toît ! Pour cette fois nous ne retomberons pas « du côté de la confiture » ! Alerte sans frais… Ouf !

A Dirkou, nous sommes remontés aux alentours de la soixantième place… Pas mal pour une voiture d’assistance !

Pierre a prévu un ravitaillement en essence à cet endroit, car il connaît depuis belle lurette, le chef du village. Nous sommes accueillis comme des rois ! Le chef fait vider sa maison, évacuant femmes et enfants vers une annexe. Il nous présente une chèvre un peu décharnée encore sur ses 4 pattes, et qui bientôt, nous-dit-il, finira son existence ici-bas dans nos assiettes ! C’est là un geste d’une grande générosité, car le cheptel de ces villageois est leur seul richesse. Après avoir terminé l’entretien de nos Toyota, nous rejoignons notre hôte dans la pièce principale de sa modeste demeure. Comme le veut la coutume locale, nous nous asseyons à même le sol. Le plat principal trône au milieu du cercle des convives. Ici pas de couverts : on mange avec les mains ! A ma première bouchée, je me rends compte que mes dents risquent de ne pas résister à l’exercice. La chair est en effet si dure, qu’il m’est impossible de la mâcher, et encore moins de l’avaler. Je vois à la tête de mes amis, qu’ils rencontrent les mêmes difficultés que moi… Cependant, nous devons faire bonne figure devant tant de soins et de sacrifices consentis par notre hôte. Ici, l’hospitalité est sacrée ! La bouche pleine, je prétexte un besoin urgent pour m’éclipser quelques minutes. Une fois dehors, je m’approche du chien du propriétaire et lui offre généreusement ma portion de caprin. Mes camarades sortiront également, et se rendront l’un après l’autre auprès du toutou, assez peu habitué, sans doute, à être gratifié d’un tel festin !

L’ambiance est cependant très chaleureuse, et nous garderons un souvenir très ému de cette soirée.

Toutefois, le pire est à venir…

L’étape Dirkou-Agades va devenir l’une des plus célèbres de l’histoire de l’épreuve. Une page du Dakar va s’écrire ici ! En effet, alors que nous avons repris la piste, une tempête de sable inouïe se lève en quelques heures, rendant la visibilité quasi nulle. Certains concurrents imprudents qui, pour essayer de se repérer, sortent de leur véhicule, éprouvent ensuite les pires difficultés à le retrouver ! Le sable s’infiltre par les moindres interstices, tant le vent est violent. Les essuie-glaces et les phares sont absolument inopérants. Seule la boussole peut nous aider. La piste n’est visible qu’à dix mètres devant le capot. Je garde l’œil rivé sur le compas, en roulant à 10km/h. Soudain, je n’aperçois plus la piste : nous avons dû nous en écarter de quelques mètres. Je décide de faire demi-tour immédiatement, avant que le vent et le sable n’ait effacé nos propres traces. Heureusement, au bout de quelques minutes, nous retrouvons la piste. Il faut maintenant repartir dans le bon sens, sans se tromper ! La boussole nous remet une fois encore sur le bon chemin. A ce moment précis, nous pensons que nous avons perdu énormément de temps. C’est tout le contraire ! A notre arrivée à Agades, dans un état d’épuisement total, nous apprenons que nous faisons partie des rescapés : 40 voitures et une vingtaine de motos sont perdues dans l’immensité du désert… Jean-Jacques Ratet a réussi à braver la tempête et est parvenu au bivouac. Imbert arrive une heure après nous. Quant à Pierre Fougerouse, nous n’avons aucune nouvelle de lui.

Le classement général est bouleversé : Ratet est douzième de l’étape, nous sommes 29èmes et Imbert 30ème. Incroyable ! Nous apprenons que l’hélicoptère de Thierry Sabine a été victime d’un accident et qu’il a dû faire appel à l’armée Nigérienne pour l’aider à retrouver tous les concurrents égarés. Finalement Pierre Fougerouse – qui s’est égaré dans la tempête de sable - arrivera juste avant la fermeture du contrôle, après avoir roulé toute la nuit. Il pourra donc poursuivre le rallye. Mais il est désormais 50ème au classement général, alors que nous sommes 31èmes, 10 heures devant lui ! Cela signifie qu’après chaque départ de spéciale, nous devrons impérativement nous arrêter sur le bord de la piste, et attendre son passage, pour nous élancer à sa suite, et lui porter assistance si nécessaire ! Et cela, jusqu’à l’arrivée à Dakar… C’est notre boulot, et nous nous y attachons, de bonne grâce.

Thierry Sabine mettra 4 jours pour retrouver, puis ramener à bon port, toutes ses brebis éparpillées dans les dunes de ce terrible désert ! Il écrit ainsi sa légende, justifiant par la même occasion, le pseudonyme dont l’affublent désormais les concurrents : « Dieu » ! Rien de moins…

Après cet épisode mouvementé dans le Ténéré, nous repartons en direction d’In Gall, puis Korogho en Côte d’ Ivoire, pour une étape marathon de 2.250 km. Celle-ci, dénommée « Raid Santos », est l’épouvantail du rallye ! Le règlement nous autorise généreusement deux périodes de repos de 3h chacune. La première a lieu à Niamey, capitale du Niger. Cette grande ville possède plusieurs hôtels, et nombre de concurrents n’hésitent pas à prendre une chambre dans l’un d’eux. Une douche et un lit : deux choses que nous ne croyions pourtant ne retrouver qu’après l’arrivée à Dakar. Cependant, je ne choisis pas cette option : je décide, un peu stupidement, de dormir sur une pelouse juste à côté du contrôle horaire, afin d’être sûr de repartir à l’heure. Mal m’en prit ! Je suis assailli par une nuée de moustiques, très agressifs, qui m’empêchent de fermer l’œil, malgré mon immense fatigue. A l’issue des trois heures, je sors de mon sac pas du tout reposé, et affublé d’une tête qui a pratiquement doublé de volume. J’ai même du mal à ouvrir les yeux…

Heureusement, je dispose d’antihistaminiques que j’avale immédiatement. Je me sens toutefois incapable de conduire. Philippe prend donc le volant, alors que somnolant, j’ai peine à lire le roadbook. Au bout de quelques heures, je me sens mieux, et peux reprendre ma place. Nous décidons de faire un arrêt en pleine forêt, pour nous restaurer un peu. Philippe m’offre du « singe » (corned beef) que sa Maman avait déposé dans son sac. N’ayant rien d’autre à me mettre sous la dent, j’avale avec difficulté ce met que j’avais tant honni lors de mon service militaire… Du singe après la chèvre : vivement que nous retrouvions la cantine Africatours de l’organisation ! Ce n’est cependant pas pour tout de suite…

Nous reprenons la route, de plus en plus épuisés. Nous roulons déjà depuis plus de 24h. Soudain, une fumée âcre envahit l’habitacle. Le frein à main est resté coincé et a surchauffé. Ce sera notre seul souci mécanique sur tout le rallye ! Philippe plonge sous le Toyota et extrait tout le mécanisme défectueux. Nous nous en passerons désormais.

La nuit tombe pour la deuxième fois dans cette étape. La piste est en sable mou la plupart du temps. La fatigue redouble, dans la lueur des phares. Philippe s’est assoupi. Il dodeline de la tête sur le siège passager. J’essaye de tenir le coup. Soudain, alors que nous roulons dans une forêt, les arbres se déplacent vers le centre de la piste ! Je monte sur les freins, ce qui a pour conséquences de réveiller brusquement mon copilote ! « Que se passe-t-il ? » m’interroge-t-il, l’air hagard. « Je crois que j’ai eu une hallucination. Il faudrait que tu prennes le volant, que je puisse me reposer un peu… ».

Sitôt dit, sitôt fait. Philippe au volant, je m’endors immédiatement. En plein rêve, je suis soudain projeté en avant. J’ouvre les yeux. La voiture est à l’arrêt. « J’ai vu un éléphant traverser la piste ! », me dit Philippe. « Je crois que tu devrais reprendre le volant ». Je regarde ma montre : Philippe conduit depuis à peine une heure, mais lui aussi est épuisé. Nous nous relayerons ainsi toutes les heures, puis toutes les demi-heures et enfin, tous les quarts d’heure ! Nous avons atteint les limites de la résistance physique. Sans compter que nous nous arrêtons aussi régulièrement pour aider des amis motards. Ils n’ont plus la force de redresser leurs motos après une chute dans le sable mou. Leur calvaire est pire que le nôtre, et de loin. Je n’arrive pas à comprendre où ils trouvent les ressources pour continuer à rouler !

Nous arrivons enfin au contrôle où nous sommes autorisés à dormir trois heures. Nous roulons déjà depuis plus de 40 heures… Je sors mon duvet, je demande au contrôleur de me réveiller dans 3 heures, et je sombre immédiatement dans un sommeil profond, au pied même du Toyota. A mon réveil, je suis en pleine forme ! Cette fois nous entamons la dernière partie de cette étape de fous. Nous arrivons enfin à Korogho, en Côte d’Ivoire, où nous sommes accueillis en héros par notre équipe au complet, qui nous pensait perdus, corps et biens.

Après quelques heures de repos, nous reprenons la piste vers Nara, terme du « Raid Santos ». Nous sommes désormais 31èmes au classement général. Inespéré, vraiment ! Jean-Jacques Ratet est 11ème, Imbert 29ème et Pierre Fougerouse est remonté à la 47ème place. Beau tir groupé du Team Metal 5 – Fougerouse. Maintenant, il faut tenir jusqu’à Dakar !

Les dernières étapes se succèdent sans soucis majeurs : Timbreda, Kiffa puis Kaedi.

Enfin, après avoir lavé nos voitures dans le fleuve Sénégal, nous nous retrouvons tous sur la plage à Tiougoune : le Graal… Je plonge dans l’océan et me régale de lait de coco. Nous pouvons ensuite faire une belle photo des quatre voitures, côte à côte, avant de rejoindre Dakar.

Alors que l’équipage Ickx-Brasseur remporte le rallye sur Mercedes, Ratet réalise lui, un réel exploit : il est 7ème au général, avec une voiture pratiquement de série. Nous terminons à une très belle 28ème place, Imbert nous devance à la 27ème, et Pierre Fougerouse finit 37ème

L’arrivée dans la capitale sénégalaise est magistrale ! Une foule enthousiaste nous fait une haie d’honneur. Le soir, nous respectons la tradition : toute l’équipe se retrouve autour d’un énorme plat de langoustes au restaurant « Le Lagon ». Cette fois le rallye est bien fini !

Sur 234 voitures au départ, seules 57 ont rejoint l’arrivée (soit près de 76% d’abandons !), dont les 4 Toyota . Avouons-le : c’est un véritable exploit ! Nos sponsors sont ravis. Nous aussi !

On essayera de faire encore mieux la prochaine fois… Inch Allah !

Sources : www.dakardantan.com – Photo Maindru – Dernière Heure Bruxelles – Auto Verte – Collection Lucien Beckers.

©Lucien Beckers 2015

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Autohebdo - novembre 2016

Séance de dédicaces sur le stand de notre distributeur français "Motors Mania" (Pau) à Rétromobile 2017 (Paris).

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